Le moût ou jus de raisin qu'on fait réduire par cuisson douce est connu depuis les Romains. Il a traversé les siècles, a changé de nom selon les pays. Il continue à être commercialisé en Italie sous le nom de mosto cotto, saba ou sapa. Il survit encore en Bourgogne sous le nom de raisiné. Le moût cuit est un élément indispensable de certaines recettes aigres-douces.
À partir du jus de raisin (ou autre fruit) que l'on fait cuire, on obtient, par concentration, des produits de type sirop, confiture, ou des boissons alcoolisées. Les mots "sapa" ou "vino cotto" peuvent désigner aussi bien l'un que l'autre.
1 - Chez les romains
Columelle, agronome du 1e siècle av J.C. décrit la fabrication du defrutum : moût de raisin réduit d'1/4 ou d'1/3. Pline l'Ancien, un siècle plus tard, définit la sapa comme une réduction à la troisième partie de la quantité initiale (des trois parties initiales, il n'en restait qu'une à la fin de la cuisson).
De re coquinaria d'Apicius parle de la sapa pour conserver les mûres (n°23 : L I - XII.6). Elle peut s'appeler defritum et désigner aussi bien du moût cuit que du "sirop" de figues ou de coings (n° 56 : L II - II.8).
2 - Moyen Age et Renaissance
Dans son livre la cuisine arabo-andalouse, un art de vivre 11e-13e siècle, Lucie Bolens cite 4 recettes de rub, issues de l'Anonyme Andalou et d'Ibn Baitar, traduites par : raisiné de figues, de grenades, de coings ou de dattes. Il s'agit d'extraits au quart, dont l'opération est décrire par Ibn Wafid, un agronome-médecin du 11e siècle. Le mot persan est efshurj.
Lucie Bolens décrit le procédé : trois cuissons successives destinées à épaissir aux deux tiers avec une nuit d'intervalle entre chaque coction pour faciliter la fermentation. D'où ces étonnants raisinés de grenade et de poires à la limite entre le liquide et le solide. Le procédé semble ressembler beaucoup au sapa romain.
Le Ménagier de Paris (1393) donne la recette du vin cuit (338) : mergoutte (ce qui sort de la cuve avant que le raisin soit foulé d'après Pichon) bouillie doucement et réduite d'1/3 si le raisin est vert, d'1/4 si le raisin est mûr. Le liquide est ensuite mis dans un tonneau (où la fermentation reprend vraisemblablement) et le vin est meilleur bu au bout de 3 ou 4 ans, plutôt que dans l'année de production.
Platine dans De honesta voluptate et valetudine (1467) écrit : Mosto cotto et sapa se différencient par le degré de réduction du moût : la sapa serait plus épaisse (il reste un tiers de produit) que le mosto cotto (il en reste les deux tiers).
3 - A partir du 17e siècle
Olivier de Serres parle du sabe en 1600 dans le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs (Troisième lieu, chapitre XII) : Tel moust cuit à la consomption de la tierce partie estoit par les anciens appelé sapa, du latin, signifiant saveur, pour l'excellente douceur de telle boisson. Aujourd'hui nous appelons sabe le moust qui par bouillir se consume de la moitié, duquel nous nous servons seulement pour faire des sauces en l'apareil des viandes C'est ce que les anciens appelloient defrutum, du mot latin defervere, signifiant refroidir après avoir bouilli.
Le dictionnaire de Furetière (1690) appelle le concentré de fruits "vin cuit" (réduction au 2/3) et "rob" (réduction au tiers). Ce rob était fait, d'après Furetière, avec de nombreux fruits et s'appelait, quand il était fait avec du moût de raisin : sapa en latin et raisiné en français. On le mangeait comme une confiture.
En France, à partir du 17e siècle, on parle généralement de raisiné pour désigner le moût de raisin cuit et réduit.
Le cuisinier royal et bourgeois, dans le livre des confitures et des confiseries, en 1712, donne une recette de raisiné (réduction au 1/3 du raisin).
4 - Époque actuelle
On trouve actuellement "saba", "sapa" ou "mosto cotto" (moût cuit) dans plusieurs régions d'Italie. Ce produit est encore préparé à la maison selon la tradition, mais il peut aussi être acheté.
Les différentes transformations du moût cuit
Sapa
Dans la région des Marches (Italie centrale), on appelle encore sapa ce moût cuit dans un chaudron de cuivre, qui est ainsi concentré jusqu'à atteindre la densité d'un sirop. Les ferments étant morts après une très longue cuisson, la sapa ne contient pas d'alcool. La sapa (ou mosto cotto) est utilisée pour sucrer certains desserts ou pour assaisonner des viandes.
Dans certaines régions du Sud de l'Italie, par exemple en Sicile, on ignore le mot sapa et quand on fait de la sapa on l'appelle "vino cotto". De plus, en Calabre et aux Pouilles on appelle vin cuit (et non pas sapa) soit une sapa de raisin soit une sapa de figues, comme les anciens Romains qui appelaient le sirop de figues defrutum caricarum.
Vino cotto
Si par cuisson on réduit d'1/3 le moût (certains le réduisent jusqu'à la moitié) et on le met en barriques, il peut y avoir fermentation et on aura ainsi une boisson alcoolisée. Mais la fermentation peut ne pas se produire. C'est pourquoi, pour favoriser la fermentation et réussir leur vin cuit, après cuisson, beaucoup ajoutent un petit pourcentage de moût frais au moût cuit avant de mettre le tout dans des barriques : c'est le "vino cotto" ou vin cuit, qui peut se garder longtemps. Le vin cuit, malgré son nom, n'est pas du vin que l'on fait cuire, mais c'est du moût cru que l'on fait cuire et qui, après cuisson, subit dans une barrique une fermentation plus lente et plus tranquille qu'un vin normal : on met le vin cuit dans des barriques, couchées horizontalement, et on bouche l'ouverture principale supérieure par un morceau d' étoffe et sur l'étoffe on pose une brique. On ne scelle l'ouverture qu'à la fin de la fermentation, sinon la barrique explose. Après une année, le vin cuit soit se met en bouteille, soit se transvase dans une autre barrique. Il peut titrer 14,5° et plus. Le vino cotto est un vin de dessert ou de méditation, produit essentiellement dans les Marches et les Abruzzes.
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Nous remercions vivement Alessio Colarizi Graziani pour son aimable collaboration.
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