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Première femme trois fois étoilée d'Italie, Annie Feolde règne en Toscane comme à Tokyo. Ce pourrait être un conte de fées. Celui d'une petite fille ayant grandi le long de la Promenade des Anglais, qui découvre la Toscane et en fait son royaume. C'est l'histoire d'amour d'Annie Feolde avec un homme et une région. Fonctionnaire qui s'ennuie à Paris, la douce Annie sera cuisinière autodidacte au service du beau Giorgio Pinchiorri, diplomate sommelier de l'Oenothèque Nationale à Florence qui portera son nom.
" Abandonnant la restauration classique, Giorgio avait décidé de se consacrer aux vins en développant un concept tout à fait nouveau à l'époque : le " bar à vins " où les gens pouvaient acheter des bouteilles dans la cave et les emporter à la maison, ou bien goûter les mêmes vins " au verre " dans la salle de dégustation du rez-de-chaussée. Nous étions fin 1972. Il est certain que goûter plusieurs grands crus sans grignoter quoique ce soit, pouvait devenir " dangereux ". C'est ainsi que j'ai trouvé mon identité en créant de petits plats pour accompagner les dégustations. Les petites bouchées se sont transformées rapidement en buffet puis en menu restauration. Peu à peu, la cuisine prenait de l'emphase et Giorgio savait guider le client dans le choix des 150 000 crus de sa cave italo-franco-californienne, un tandem vins et mets qui a fait notre réputation, chacun évoluant dans son domaine pour se retrouver dans une même harmonie. Je me suis prise au jeu et la cuisine est devenue passion ".
Il y a une douzaine d'années, Annie reçoit la consécration suprême, puis cède aux sirènes japonaises en ouvrant à Tokyo une copie de l'Enoteca Pinchiorri, puis une Cantinetta. Michelin, courroucé par ce trop-plein d'activités, lui enlève une étoile. Annie, pourtant, est partout à la fois, cuisinière, patronne, formatrice.
Dans l'édition Michelin 2004, elle retrouve sa troisième étoile. Elle n'a rien changé à sa manière qui consiste à réaliser une grande cuisine créative et ménagère, régionale et sophistiquée, hommage à toute l'Italie mais dédiée à la Toscane. On se souvient, sans réfléchir, de ses plats qui ont fait date depuis vingt ans. Ainsi, la morue frite en tempura avec la " papa al pomodore ", la soupe de pain à la tomate toscane revisitée, les scampi enrobés de pancetta avec une soupe de haricots et orge perlé, les " pici con le briciole ", ces pâtes petites et tournées à la farine de blé dur et à l'eau, parfumées aux anchois et aux herbes, avec la couenne de porc frite, garnies de miettes de pain toscan, avec une crème de haricots blancs de Lucques. Et puis cette admirable variation sur la porchetta, originaire de Ombrie, où la caille remplace le porc, où la viande avec sa peau, farcie de son foie, est poivrée, servie sur une purée de petits pois et des croquettes de pois chiches au romarin.
Admirable ! Il y a encore les spaghettis à la " guitare ", fabriqués dans une machine à cordes, avec crème de petits pois et filets de maquereau mariné, auxquels elle ajoute une tranche de petit salé rôti. Le registre poissonnier change au gré de la marée. Aujourd'hui, le rouget est accordé à une petite escalope de foie gras, une purée de topinambours et un émincé d'artichaut frit. Les noix de Saint-jacques avec leur corail tomaté, cuit comme des tripes, sont escortés d'une raviole frite, farcie de courgette à l'origan. Cette cuisine, simple et fraîche, qui se contentait jadis d'accompagner des vins choisis, joue maintenant le premier rôle.
Le chef-d'œuvre du genre rustico-raffiné ? C'est le cochon cuit au four, avec sa peau craquante, sa salade de pommes de terre, son huile de betterave, ses échalotes en aigre-doux, son fromage de tête ou " soprassata ". Au chapitre des desserts, la composition sur le lait, en biscuit, en mousse, en bavarois, en glace et en écume, vous fait retomber en enfance. Voilà, sous la houlette d'une magicienne franco-toscane, des festins de roi pour gourmands amoureux des saveurs justes.
A bâtons rompus
Notre restaurant se trouve dans un vieux palais de la Renaissance Florentine à deux pas de l'église Santa Croce et du musée (ex-habitation) de Michelangelo Buonarroti. Son architecture inspire immédiatement le respect, et nous avons tout fait pour préserver son atmosphère noble sans pour autant en faire un musée, avec salles en dédale, plafonds à fresques, patio et cave immense.
L'Italie est devenue ma deuxième patrie, d'abord et avant tout parce que j'y travaille et surtout parce que j'y côtoie chaque jour de nombreux artisans, simples, directs, rudes parfois, mais pleins de cœur, de talent et de fantaisie qui m'ont fait comprendre que nous vivons dans un monde " très humain " où il existe encore l'envie de faire plaisir avec en surcroît beaucoup d'amitié !
J'ai passé mon enfance entre Nice et Roquefort-les-Pins, un peu trop libre du fait que mes parents travaillaient dans l'hôtellerie - mon père au Casino Municipal qui n'existe plus de nos jours, et ma mère au Negresco. Je me rendais compte que Nice et ses alentours étaient un lieu privilégié, alliant nature, liberté et mer mais, en quête d'un emploi, je me suis retrouvée à 20 ans à Paris, aux P.T.T. Mon travail étant trop monotone et ne correspondant pas à mon tempérament, je suis partie en Angleterre parfaire mes études de l'Anglais, puis j'ai découvert la Toscane.
Pendant des années, et je suis ici depuis 36 ans maintenant, les Italiens m'ont dit " Ah vous êtes de Nice, mais Nice était italienne auparavant, donc vous êtes Italienne ! Je m'agitais un peu, toujours française de cœur et de racines jusqu'au jour où j'ai lu que le Comté de Nice a été offert plusieurs fois à la France et à l'Italie, suivant les tendances politiques. Donc, j'ai dit " Basta " ! Mon coeur est comme une ville frontalière, arc-bouté entre deux passions, celle de la ville où j'ai grandi et celle qui m'a éveillée à l'amour et à la cuisine.
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